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" Ce n'était qu'un oubli. "

J'ai tué ma fille. Hier, j'ai tué ma fille. Je me le répète inlassablement dans l'espoir de comprendre quelque chose. Tout est à l'envers dans ma tête, retourné, comme si on avait cambriolé mon cœur. Il ne reste que des morceaux de verre dans lesquelles je la vois. Son visage s'y reflète, j'essaye de la chasser mais elle me hante. J'ai créé un fantôme. "Tu deviens fou Nicolas..." Mais non, regarde, ses grands yeux bleus me fixent, et sa voix ne cesse de demander : "Pourquoi papa ? Tu ne m'aimais plus ? Tu voulais une autre petite fille ? " Je m'asperge le visage d'eau en espérant me noyer avec. J'aimerais que cette putain de culpabilité qui m'empêche de respirer tombe dans le siphon. Qu'elle tourne et qu'elle disparaisse. Je saisis une feuille, un stylo. Ma femme pleure dans la pièce d'à côté. Elle sait que c'est fini. Que le lit restera vide, et que demain, je partirais. Plus jamais je ne la prendrais dans cette chambre où le lit grince à chaque mouvement. En la tuant, je nous ai tué. Triple homicide. Y a-t-il seulement une peine pour cela ? Je ne pourrais plus la regarder en face sans me voir en tant que meurtrier. Sans me voir tel que je suis réellement. " Calme-toi, Nicolas, essaye d'écrire ce qui s'est passé. Remplie ces feuilles. Fais le compte rendu du dernier jour de ta vie de père. Du dernier jour de ta vie. "
C'était un vendredi. Comme chaque jour, je me suis levé à 7 heures et Naomi était déjà partie travailler. Je me souviens qu'une torpeur matinale m'avait enveloppée, et que tout me semblait confus. J'ai traversé la chambre à tâtons. J'ai pris la petite dans mes bras, elle dormait encore. Son souffle chaud sur ma nuque estompa le brouillard qui valsait autour de moi. Machinalement, je l'ai posé dans la chaise haute avec délicatesse. Je me suis fait un café très serré, et préparé son lait. L'odeur de la caféine l'a réveillé. "Papa ? " Je me suis retourné, et je l'ai embrassé. Nez contre nez, un "bisou d'esquimau". Elle a rit aux grands éclats et m'a aspergé de son bonheur. J'étais bien. J'ai fait attention à ce que son chocolat ne soit pas trop chaud, je l'ai mis dans une tasse en plastique. "Laquelle tu veux ma puce ?" "Celle avec Dora, papa, s'il te plait. " Bien-sûr, celle avec dora et babouche. C'était évident. J'ai donc remplie ce singe hideux de lait, et lui est donné. J'ai pesté parce que je m'étais brulé la langue avec mon café. Pas de gros mots devant la petite, donc j'ai pesté poliment. "Pourquoi on n’aurait pas droit au bol en plastique nous aussi hin, y'a pas qu'les gosses qui craignent le chaud ! " " Si tu veux, je te prête le mien Papa " m'a répondu Léna. Adorable, cette gamine. Elle est adorable. " Etait Nicolas." Toi, ta gueule... Donc, je l'ai habillé avec sa salopette Diego. Je n’ai pas trop serré les bretelles parce que c'est fragile une petite. T'as toujours l'impression que si tu lui tiens la main trop fort, tu vas la casser. Et puis, on est passé aux chaussures. Roses, bien-sûr. "Attend papa, je sais faire mes lacets toute seule comme une grande !" "Ah bon ? Montre-moi ça ma chérie." Elle a fait deux belles boucles et les a tourné dans tout les sens. Un truc que j'arriverais jamais à démêler. Elle a fait pareil pour l'autre. "Tu veux que je te fasse les tiens ?" Adorable j'vous dis. On est partit, 4 gros nœuds en guise de chaussures. Je l'ai installé dans son siège auto, je l'ai attaché comme Naomi m'avait appris. Les sangles se croisent, puis on clip. Clic. Voilà. Je devais l'amener à la garderie, mais en chemin, je me suis rendu compte que je n’avais pas donné ma demande de mutation à mon chef. Une place sur la cote méditerranéenne, une petite merveille, la plage pour la petite, et le restaurant au bord de mer pour la maman. Elles partaient pour être traitées à Paris à 9 heures. Coup d'œil furtif vers ma montre. 8h30, si je partais maintenant, je pouvais arriver à temps. Accélérateur, et c'est partit. A l'arrière, Léna s'était endormie. Je voyais sa poitrine monter et descendre au rythme de sa respiration. 10 minutes après, je me garais en plein soleil, sur le parking de ma boite. Pas le temps de chercher une place à l'ombre.
J’ai grimpé les escaliers quatre à quatre, Sylvie, la secrétaire, m'a interpellé "Vous n'aviez pas prit votre matinée Nicolas ?" Je lui montrais les papiers. "Dépêchez-vous, Daphnée vient de monter pour aller les chercher." Je la croisais à la sortie de l'ascenseur, lui tendit la lettre. "C'était tout juste Mr.Daril !" J'acquiesçais. " Ah, au faite, le chef veut vous voir. Je devais vous le dire cette après-midi, mais vu que vous êtes là..." Je haussais les épaules, elle avait raison, maintenant que j'y étais, autant m'avancer... Je repris mon souffle doucement. J'avais l'impression dérangeante d’avoir oublier quelque chose. Je cherchais, j'essayais de me souvenir. Rien.
Je suis monté dans le bureau de mon supérieur agacé. Il voulait parler concurrence. J'avais la tête ailleurs, et lui était sur les nerfs à cause d'une boite qui grossissait et commençait à nous faire de l'ombre. Le ton est vite monté, l'altercation était sur le point d'exploser. Deux heures qu'on tournait en rond, et que rien n'avançait. Je m'assis, j’étais fatigué. J'en avais marre de ce boulot qui me bouffait. J’étais censé être pénard dans mon canapé à regarder le match de foot d'hier soir, une despe a la main. Et me voilà dans le bureau de mon chef à faire des heures supp' qu'il ne me paiera jamais. L'heure tournait, il me confia qu'il allait peut-être falloir virer des gens. Que les affaires ne marchaient pas si bien que ça. Il me demanda des noms, je ne répondis pas.
3, bientôt 4 heures que je me bousillais le dos sur une chaise inconfortable. Enfin, il en est venu à cette fameuse mutation. "Vous savez, je ne pense pas que vous devriez partir." "Comment ? " "Nous avons besoin de vous ici, Nicolas."m’a-t-il dit d'un ton faussement flatteur. Je refusai. On s’est disputé sur la question encore une bonne demi-heure avant que la crise de nerf arrive. Il me traita d'égoïste. J’étais sur le point de lui crier " Je pense à ma femme et à ma fille avant tout !" Ma fille ? Léna ! Panique totale. Je suis descendu en vitesse, ait manqué de faire tomber Sylvie. "Qu'est-ce qu'il t'arrives ?" Je ne lui répondis pas. Le parking. J'arrivai à ma voiture, Léna semblait dormir encore. Mon cœur se calma, je sentis le feu en moi s'apaiser. J'ouvris la portière, la pris dans mes bras. J'aimais toucher sa peau et respirer l'odeur de l'enfance. Mais elle restait inerte. "Léna, c'est papa, réveille-toi." Rien. Je lui pris le pou. Rien.

Après ça, c'est le vide. Je me souviens d'être rentré à la maison, d'avoir déposé son corps sur le divan du salon. Je me souviens des cris de Naomi, de ses pleurs, de ses coups. De ma détresse silencieuse. Mais c'est tout.
Je pose mon stylo. A présent, je vais me lire pour voir si mes mots sont aussi embrouillés que mes pensées.


Aussi emmêlés que ce nœud sur ma chaussure.



Texte écrit en pensant à ces petits morts de déshydratation.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Très émouvant :) j'aime bien tes fins avec la petite phrase en rose =)
T'as pleins d'idées et je me répète pleins de talents =)
J'adore ta façon d'écrire =D