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" Childhood's room "

Il me semble que cela fait une éternité que je suis dans cette salle d'attente. Elle porte bien son nom celle-là d'ailleurs... Combien d'heures perdues, gâchées dans une pièce où tout est méticuleusement fait pour que vous n'y soyez pas bien ? La torture des chaises inconfortables, les magasines "Madame Figaro" dont vous vous fichez éperdument, et cette odeur... L'odeur de la tristesse et des maux mélangés. La forte senteur des médicaments qui pourrissent l'atmosphère, et cet arrière-gout de solitude. Et puis il y a les regards suspicieux des autres malades qui vous dévisagent en silence lorsque vous toussez, et qui murmurent à leur gosse "Ne t'approche pas trop de la dame..." de peur que vos cernes leurs tombent dessus. Les consultations qui durent des heures, et le retard du médecin qui ne sait pas gérer un emploi du temps. La secrétaire là-bas, qui vous fait de grands sourires parce qu'elle est payée pour ça, et qui se l'étire jusqu'aux oreilles à chaque fois que la sonnette retentit. Et toujours, toujours, cet air irrespirable qui vous ronge jusqu'à la moelle. Les fièvres, les tremblements et les piqures ont dut l'infecter depuis longtemps celui-ci aussi.
" C'est pour quand ? "
Je me retourne. Ma voisine, une vieille dame au teint très pâle, se force à me donner un sourire qui l'est tout autant.
" La naissance. " précise-t-elle en constatant mon incompréhension.
Ah, oui, la naissance... Elle doit me prendre pour une idiote à présent. Je suis enceinte de 7 mois et demi, et la protubérance de mon ventre ne permet pas aux gens de parler d'autres choses que de lui lorsqu'ils demandent " C'est pour quand ? ". J'aurais du me douter.
" Un peu plus d'un mois si tout va bien. "
Et là, cette main flétrie par l'âge qui a déjà dut porter, consoler, caresser, embrasser, épousseter, serrer, encourager, aimer donc, tant d'enfants déjà, se pose sur mon ventre fébrilement pour sentir la vie battre sous ses phalanges.
Je ferme les yeux et me laisse allez à l'étreinte invisible de ses doigts sur mon fœtus. Pourtant, il en a vu passé des mains ce nombril, il a été tâté, serré, touché, savouré des dizaines de fois sans que je ne ressente rien de plus qu'une pointe d'exaspération. Mais là, serait-ce par cette espèce de familiarité rassurante que la chaleur de sa peau dégage sur mon ventre, où simplement le fait de savoir qu'elle aussi, avait vécut pour deux, je me sens bien.
Elle reprend son bras, et je la remercie d'un regard. D’un regard qui en dit long sur l'agitation de tout ce petit monde à l'intérieur de moi.
La secrétaire nous regarde du coin de l'œil à travers ses dossiers et semble vouloir vérifier que l'on ne se fricote pas de trop près. Ah, elle ne sourit plus du tout d'un coup ! Ma voisine en rit et je fais de même pour ne pas pleurer.
Les nerfs d'une femme enceinte, vous savez...
" Et vous... vous venez pour quoi ? "
" Une grippe tenace... "
On essaye de combler le vide, mais les mots nous échappent. A quoi bon parler lorsqu'un geste a déjà tout dit ? Deux cœurs qui battent sous un corps fatigué d'exister, ça ne s'explique pas. Il faut le vivre pour le comprendre, et cette femme-là ne l'a que trop bien comprit. C'est ce qui la rend si différente. Si forte pour pouvoir porter à bous de bras l'enfance et l'essuyer sur ses genoux endurcis mais si vulnérable pourtant, agressée par son vécut, fragilisée par une existence malmenée. C'est ce que je deviendrais, à force de tout donner et d'en encaisser autant. C'est ce à quoi je suis vouée, le revers de la médaille, la seconde phase du premier âge. Et c'est parce qu'elle le sait qu'elle a posé cette main sur mon ventre. " Le bonheur qui se cache sous ma paume à sa part d'ombre, elle aussi. " semblent m'avoir confié ses doigts.
A quoi bon parler alors ?
" Mademoiselle Clart ! "
Le docteur vient de franchir le seuil de sa porte. C'est à moi.
Je me lève et me dirige vers lui. Dernier regard vers mon futur grippé. J’entends ses yeux m'avertirent :


" Reviens, tu as oublié tes seize ans sur ta chaise... "

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton histoire est super bien écrite,j'aime beaucoup.Tu fais bien ressentir les sentiments de la jeune fille au lecteur.J'aime