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" Regrets éternels "

Je serrai les poings. Des images défilaient dans sa tête, douloureuses, ne cessant d'apparaître avec haine pour mieux me blesser. J'essayais de ne pas lire en lui, d'échapper à son esprit qui m'emprisonnait, mais le plaisir sadique qu'il éprouvait était trop fort. J'émis un long gémissement, venu du tréfonds de ma cage thoracique. Venu droit du cœur.
- Arrête grognais-je.
- Eh beh me lança-t-il sur un ton satisfait, tu ne veux pas voir le fruit de tes erreurs ? Tu as honte ?
Jacob me fixait sournoisement, content de lui-même. Je fléchis les genoux lorsque l'image de Bella s'imposa de nouveau à moi. Perdue, hagarde, accroupie sur le sol, dans les bois. Le regard vide et les bras en croix, elle semblait anéantie, complètement trouée de l'intérieur. Une enveloppe corporelle. Son âme n'était plus là. Partie. Sûrement en même temps que moi.
- Jacob, je t'en supplie, murmurais-je péniblement.
- Sam s'est tellement repassée cette épisode, dans sa peau de loup, qu'elle est gravée en moi aussi fidèlement que si j'avais été là. Et je veux qu'elle te hante jusqu'à la fin de tes jours. Si tu dois les passer avec elle, alors je veux qu'une douleur perpétuelle, celle des regrets, t'assaillent chaque minute, chaque seconde. Tu n'aurais jamais dû revenir. Elle était à moi. Tu avais gâché ta chance.
Je sentais monter en lui une fureur telle que je ne pus lui répondre.
- C'était mon tour ! cria-t-il.
Bella grommela dans ses bras. Elle se retourna, faillit se réveiller, puis retomba mollement contre l'épaule de mon adversaire. Je haïssais ce temps. Mon corps voulait la prendre. Je voulais la sentir contre ma peau, la respirer toute entière, pouvoir jouer avec ses cheveux, humer leur odeur. Je la voulais. Mais elle serait morte de froid, alors Jacob en profitait. Je me haïssais. Ce que le commun des mortels aurait put faire - la réchauffer - , j'en étais incapable. Même ça.
- Arrête de crier. Tu n'as même pas besoin de parler, d'ailleurs.
Ignorant mon intervention, il reprit :
- Pourquoi Edward ? Pourquoi es-tu revenu ?
Ce n'était même pas un reproche. C'était comme désigner la plus grande, la plus sanglante et la plus amère de toutes les injustices.
Je savais que j'allais lui répondre. Ne serait-ce que pour me convaincre moi-même que j'avais fait le bon choix. Ne serait-ce que pour pouvoir fermer les yeux sans que le visage torturé de Bella m'apparaisse, au milieu des arbres. Je pris une grande respiration inutile, fixant la toile de la tente au-dessus de moi.
- Ce qu'il faut que tu saches, Jacob, finis-je par avouer à demi-mots, c'est que j'ai existé pendant 108 ans sans but. Sans raison. J'ai avancé, j'ai fait des choix, parce qu'il le fallait. Par nécessité. Je n'ai vu la lumière qu'à travers les yeux des autres. J'ai suivis leur lueur pour ne pas me perdre, mais ça n'a jamais été que l'ombre de l'espoir. Une pâle clarté, pareille à une étoile dans le lointain, que l'on fixe obstinément car c'est la seule chose à laquelle l'on peut se raccrocher. J'ai tenu des mains, j'ai entendu des voix, j'ai sentit des odeurs, j'ai vu des visages, c'est vrai. Mais ils m'ont tous parut si flous, si inaccessibles, comme si ils n'appartenaient pas au même monde ou qu'ils ne tournaient pas dans le même sens, qu'aucun n'a su franchir cette barrière d'ombre et de fantômes qui s'était dressée autour de moi. Et peu à peu, la lueur vacillait. Je sombrais dans une solitude plus profonde et plus obscure que la mort. J'aurais préférée mourir, crois-moi. Carlisle m'avait offert le spectre d'une vie. L'éternité pour me perdre. Mais Bella est apparue. Plus claire, et plus proche de moi que tout ce que j'avais croisé jusque là. Elle m'attirait, elle me tirait loin de cette torpeur mélancolique. J'ai vu la lumière, Jacob ! Je l'ai touché du doigt, je l'ai aimé, je l'ai chérie. C'était elle ma lumière ! C'était mon soleil le jour, ma lune la nuit. C'était toutes les étoiles du ciel réunies. J'ai enfin recommencé à respirer. Elle m'a réveillé, non, plus que ça. Elle m'a fait vivre. Vivre pour de vrai, vivre entièrement. Pour elle. Elle était mon but et ma raison. Tout ce qui faisait sa peine faisait la mienne. J'ai redécouvert le monde, la vie, l'espoir. Alors, quand Jasper a tenté de la tuer, ce jour-là, j'ai sût que je devais la laisser repartir. Voler ailleurs. Vers quelqu'un d'autre. Parce que je n'étais pas celui qui lui fallait. Ma nature faisait de moi son plus grand danger. Et vu qu'elle ne voulait pas me quitter, alors je l'ai fait. Ça a été le pire choix de toute ma vie, le plus douloureux, le plus déchirant. Tout en moi brulait. J'avais besoin d'elle. Un besoin vital. Comme on a besoin de boire, de manger ou de respirer, j'avais besoin de Bella. Mais j'ai résisté. Je suis retombée au plus profond du désespoir, là-même où la douleur n'a plus de sens. Car c'est comme les enfers. Les flammes te consument entièrement, et à la fin, tu es mort. Intérieurement, il ne reste plus rien de toi. Peu importe alors ce que tu fais. Sans point de repère, tu n'es plus qu'une corps vide. Et c'était elle, mon repère. J'existais encore parce que je savais que, quelque part, elle était là. Qu'elle souriait, qu'elle riait peut-être. Qu'elle rougissait encore. Et puis il y a eu l'appel de Rosalie, l'Italie. Et enfin, enfin, Bella de nouveau. Mes cendres se sont transformés en brasier, me ranimant. Me ramenant une nouvelle fois à la surface. J'ai appris, tout ce qui s'était passée. J'ai su que, même sans moi, elle était incapable de rester en vie. Alors je suis resté. D'une part parce que ça n'aurait rien changé que je m'en aille, et d'une autre part parce qu'après avoir connu les abîmes, le noir complet et étouffant, je ne pouvais plus m'éloigner d'elle. Ça m'était physiquement et mentalement impossible. Ça avait été trop éprouvant. Et puis, par je ne sais quelle chance, elle ne le souhaitait pas non plus. C'est pour cela que je suis ici, sous cette tente, à accepter de te voir la bercer, mais résolut à ne plus jamais repartir.
Mon regard s'attarda sur le visage de Bella. Je la trouvai si belle. Mon amour. Mon ange.
- Très-bien. D'accord, tu ne repartira pas lâcha-t-il au bout de quelques minutes. C'est dommage, mais je m'en remettrai. Par contre, sâche que je ne partirai pas non plus. Je ne ferais pas la même erreur que toi. On ne sait jamais, je veux pouvoir être là si elle change d'avis.
Il avait déclaré ça sans animosité avant de s'endormir profondément.

***


- Edward ?
- Je suis là mon amour.
Bella venait de se réveiller. Elle tenta de s'extirper des bras de Jacob, mais ne réussit qu'à le faire ronfler un peu plus fort.
- Tu peux m'aider, s'il te plait ? Je sens que je vais mourir de chaud.
J'ouvris avec force les bras du quilleute, qui se retourna en tombant sur Bella. Aussitôt, je le pris et l'envoya valser dans la tente. Il se réveilla en hurlant cependant que j'aidais Bella à se relever.
- Qu'est-ce qui t'as prit le suceur de sang ?
- Tu écrasais Bella répondis-je calmement. Et puis une nuit avec toi, la pauvre, elle n'en pouvait plus.
Je sentis son poing s'écraser sur ma mâchoire. Je l'avais pressenti, mais l'avait laissé frappé. Je voulais qu'il me frappe. Non pas par masochisme, simplement parce que je lui avais repris Bella et que je savais à quel point c'était douloureux de la perdre. Qu'il se défoule. J'avais mon essentiel. Elle.
- JAKE ! hurla Bella. T'es fou ou quoi ? Edward, ça va ?
Je hochai la tête, lui décrochant un sourire en coin. Elle s'empourpra instantanément.
- Excuse-toi ordonna-t-elle sèchement à l'indien.
- Mais...
Elle le fusilla du regard et il s'exécuta.

Mais je savais qu'il ne s'excusait pas pour ça. Je savais qu'il s'excusait pour l'avenir. Pour tout ce qu'il ferait. Tout ce qu'il tenterait dans l'espoir de la reconquérir. Pour toutes ces tentatives vaines, mais qui déclencheront en moi une peur si féroce qu'elle me dévorera le ventre. La peur de la perdre de nouveau. Oui, il s'excusait pour toutes ces ombres qu'il allait ranimer.




C
ar il savait à présent à quel point elles étaient destructrices.



NDLR : Nouvelle sur Twilight. Elle se passe dans Hésitation, lorsque Jacob, Edward et Bella sont sous la tente.

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