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" 9 crimes "

Je souffrais. Quelque chose en moi était en train de me tuer. Lentement. Douloureusement. Cruellement. Chaque seconde était un combat pour survivre. Pour continuer à respirer malgré la douleur qui compressait mes poumons. Je sentais qu'un corps ne suffisait pas. Car, sous ma peau, battait deux mesures. Différentes et inégales. L'une était malade. Elle avait quelques ratés fréquent, et semblait pouvoir s'interrompre à tout moment. L'autre, beaucoup plus rapide, était cependant plus faible. Moins audible. Les deux combinées rendait la chamade désordonnée, comme une valse trop rapide assemblant le tempo fou de la vie à celui, plus lent, de la fin. Ce qui grandissait, ce qui allait naitre, était à la fois l'aube et le coucher de soleil. Cet être vivrait à travers ma mort. Et c'était une fin convenable que celle de donner son souffle à quelqu'un, n'est-ce pas ? J'essayais vainement de m'en persuader. Comme si le simple fait de me le répéter inlassablement - à mesure que mes membres faiblissaient et que mon pouls ralentissait - suffirait à oublier que la balance était inégale. Que ce que je protégeais, sous la peau tendue et déformée de mon ventre, allait aussi tuer Edward. Mon Edward. Celui qui avait pris mon cœur à l'instar de ce bébé qui me prenait ma vie.
Soudain, un déchirement me lacéra les entrailles. J'eus l'impression qu'on me comprimait les organes, les battant sans pitié. Mes lèvres se tordirent dans un rictus de douleur que j'essayai péniblement de cacher derrière un sourire. J'avais l'habitude, désormais. J'étais devenue maitre en l'art de tromper.
- Raté.
Je levais la tête difficilement. Une nouvelle vague de souffrance se libéra dans tout mon corps. Jacob se trouvait devant l'entrée, empêchant la lumière crépusculaire de passer. Il me regardait avec pitié et chagrin. Je savais que c'était un déchirement pour lui de me voir dans cet état. Une épreuve douloureuse mais nécessaire. Autant pour lui que pour moi.
- De quoi ? murmurais-je avec peine.
- Ton sourire, il est raté.
Comme tout ce que j'ai entreprit de faire jusqu'à maintenant pensais-je, amère. Et c'était beaucoup trop de choses.
Devant mon silence, Jake reprit :
- Je suis venu pour te parler, Bella.
- Oh non, soupirais-je avec lassitude. Toute la famille est déjà passée avant toi. J'ai entendu les même reproches 4 fois. Seul Edward est trop affligé sous le poids de sa propre culpabilité pour venir m'accuser de quoi que ce soit. Quant à Rosalie ... elle s'occupe plus de la santé du bébé que de la mienne, alors que je meurs, elle s'en fiche un peu.
J'entendis le quilleute grogner de rage mais n'y prêtais pas attention.
- Ce n'est pas pareil, Bella, m'expliqua-t-il enfin. Je ne pense pas que quiconque ait put te dire ce que moi je m'apprête à te confier.
Le ton suppliant de sa voix - presque un gémissement - me fit hocher la tête, pour l'inciter à poursuivre.
- J'ai parlé à Edward tout à l'heure. Il est dévasté. C'est ... pire que toi lorsqu'il est partit. Et je pèse mes mots. Je n'ai jamais vu quelqu'un souffrir autant. Culpabiliser autant. Tu n'imagines pas Bella, les tourments qui se déferlent en lui, le brisant chaque seconde un peu plus. Il se hait. Dire qu'il serait prêt à mourir pour que...cette chose quitte ton ventre, serait ridicule. Je pense qu'il pourrait tuer pour que tu vives. Il ne supporte plus de te voir aussi mal, tes traits déformés par la douleur incessante. La sienne est mentale, mais elle est bien pire. Il m'est si dur de le défendre, Bella... Mais si tu savais ce qu'il m'a dit. Ce qu'il me laisserait faire pour que tu quittes ce lit. J'ai eu mal pour lui. J'ai lu en lui. Je l'ai regardé dans les yeux et ce que j'y ai vu est plus profond et plus sombre que les ténèbres de la mort. Je ne peux pas te laisser te détruire comme ça. Tu gâches tellement d'existence pour si peu. Tu ne devrais pas. Je croyais que lorsque tu verrais Edward, tu comprendrais. Tu mesurerais l'ampleur des dégâts, la taille du gouffre qui s'est creusé en lui, la torture lancinante de ses remords. Mais non. Tu ne l'as pas vu. Ou tu refuses de le voir. Alors je te le dis, parce que la détresse que j'éprouve, là, en te regardant t'éteindre lentement dans ce lit froid, n'est rien comparé à la sienne et parce que tu es en train de sacrifier une famille entière pour un monstre.
Son dernier mot me choqua. Les larmes me montaient. Il n'avait pas le droit. Il touchait à un point trop sensible avec Edward, et tout les efforts que j'avais mis pour ne pas penser à lui venait d'être réduit en miette. En morceaux destructeurs qui se recomposaient désormais pour former une toute autre image. Celle de la fin. Jacob venait de trouver ma plus grande force mais aussi ma pire faiblesse. C'était injuste. Terriblement injuste d'être aussi vulnérable dès qu'il s'agissait de Lui. J'avais tenté de ne pas penser. De me contenter de survivre, de sourire quelque fois, pour cacher mes peurs, mais son visage me revenait sans cesse en mémoire. Les souvenirs étaient comme un brouillard. Gênant, t'empêchant d'avancer, t'aveuglant. Ils te perdaient, faisant remonter à la surface des émotions qui te détruisaient, te rongeaient jusqu'à la moelle. Brisée, prisonnière de ton passé, de ce brouillard épais, tu te contentais de regarder dans le vide. Je ne voulais pas devenir comme cela. Mes souvenirs devaient rester enfermer dans la boite de pandore. Mais Jacob venait de l'ouvrir et il m'était désormais impossible de la refermer. Le brouillard allait m'encercler, et bientôt je ne saurais plus qui être, ou que faire. J'étais littéralement piégée entre les vies perdues et données.
- Qu'est-ce que j'ai fais, Jake ? demandais-je, torturée. Je vaux quoi, au fond ? Un parfum alléchant, une odeur irrésistible ? Rien de plus ? Juste de quoi être marrié au plus envoutant des vampires. Juste de quoi lui faire un enfant. Juste de quoi en mourir.
Ma voix se brisa. C'était pathétique. Ma propre inutilité me sidérait.
- Est-ce là tout ce que j'ai réussit à faire dans la vie ? Flirter avec la mort un nombre incalculable de fois et finir par me marier avec l'éternité ? La voilà déjà réduite en poussière, cette éternité !
Je m'énervais contre moi-même. Jacob avait raison. La vie était moche. Je soupirais le peu d'air que mes poumons me permettaient de cracher.
- Non, Jacob, repris-je plus doucement car la douleur devenait insupportable, je suis capable de mieux. Regarde ! Cet enfant, c'est tout ce que j'ai réussit. Ma victoire. Ma victoire sur la vie !
- Tu vas lui donner ta vie, Bella. Il n'y a pas de quoi être fière de ça. Regarde-le comme il te détruit, comme il te tue !
- Mais c'est mon bébé ! tentais-je de crier. Raté. Ma voix partie dans un aigu incontrolable, et se perdit dans un hurlement de souffrance. Mon enfant battait des pieds, comme s'il cherchait à protester, à montrer qu'il était là. Je posais une main sur mon ventre dans l'espoir qu'il se calme.
Des gouttes de sueur perlaient à mon front tandis que mes yeux se brouillaient et que mon corps s'agitaient de tremblements. Je fus soudainement secouée de spasmes, des élancements douloureux se répandant dans chacun de mes membres alors que je pleurais. Par abandon, par désespoir. Par manque de force. Mon corps ne m'obéissait plus, il se libérait de la charge émotionnelle accumulée. De tout ces cris de détresse que je retenais pour ne pas alérter les autres. De ces lèvres que j'avais tant de fois mordues à vif pour les maintenir closes. De ce coeur qui n'en pouvait plus de battre, qui n'en pouvait plus de vivre. Oui, je me vidais. Complètement. Entièrement. Pour faire de la place à cet enfant qui en prenait trop.
- Bella, mon amour, qu'est-ce qu'il y a ? Jacob, qu'est-ce qui se passe ?
La voix de velours d'Edward m'apparut comme un miracle. Une main tendue, une bouée de sauvetage dans un océan déchainé.
- Rien. Elle a essayé de protester sur le fait que son enfant était un monstre.
Nouveau coup de pied en moi. Plus fort. Plus douloureux. Un hématome bleu se dessinait déjà. Mon poing se serrait cependant que les larmes continuaient de couler, malgré moi. Une pression glacée s'exerça sur mes doigts, me faisant l'effet d'un anesthésiant. Le contact d'Edward m'apaisa aussitôt. L'hémorragie se stoppa enfin et mes yeux devinrent secs. Je soupirais de soulagement. Je me sentais mieux, comme libérée des maux et des tourments qui me rongeaient. Je tiendrais. Du moins jusqu'à demain.
- Ne me l'enlevez pas, suppliais-je. Edward, jure-moi que tu ne les laisseras pas faire ça. Jure-moi d'élever cet enfant avec autant d'amour que tu m'as relever de la vie. Jure-le.
Je sentais qu'il était tiraillé entre le besoin incontrôlable de me satisfaire et celui, plus mélancolique, de ne pas pouvoir y arriver.
- Je te le jure, Bella. Maintenant, repose-toi mon ange.
L'ignorant, je repris :
- Il t'aime déjà, tu sais. Il se calme lorsque tu es près de moi. Tu lui fais du bien.
J'étais en train de divaguer. Complètement. Mais j'aimais ça. Inventer l'histoire de notre famille, tout en sachant qu'elle n'existerait jamais, me rassurait. Il n'y aurait pas de nous trois. Il n'y aurait qu'eux deux. Mais ça me suffisait. Mes amours. Le fondement de mon combat. Ils étaient ma passion dévorante, le fil conducteur de mon existence. J'étais tel un pantin. Je ne tenais debout que grâce aux personnes qui guidait mes mouvements, leur donnant un sens, une raison d'être. Au fur et à mesure que le temps passait, les fils se rompaient un à un, laissant mes membres lâches, mon corps inerte. Aujourd'hui, au crépuscule de mon histoire, alors que mon souffle se saccadait et que mes paupières se fermaient inéluctablement, il ne restait plus qu'un seul fil. En dehors du marionnettiste, Edward, il n'y avait que ce fil là qui faisait battre mon cœur. Mon bébé.


Il était tout ce qui me maintenait en vie. Tout ce qui me tuerait, aussi.





NDLR : Encore un texte sur Twilight. Celui-ci se trouve dans Révélation, pendant la grossesse de Bella. Je pense écrire sur autre chose que cette saga bientôt.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est merveilleux. J'en suis bouche bée !

Bravo Kirikette

Anonyme a dit…

C'est superbe.Réellement, c'est vraiment très bien écrit.
Bisous Paulounet <3