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" A l'amour, à la mort. "

Il y a cette douleur qui m’étreint le cœur. Et ses yeux qui n’arrêtent pas de pleurer. Comme une fontaine salée, s’écoulant lentement à flot régulier, dans un silence morbide. Ces vieux fantômes me hantent toujours, ils apparaissent à chaque croisement de ma vie pour me fixer de leur regard vide, trop plein de sens pourtant. Je n’ai jamais eu aussi mal. Et, paradoxalement, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Au jour le jour, je suis comblée d’une joie inébranlable. Mais dès que la nuit arrive, que la solitude prend doucement sa place au fond de moi, il y a ces maux qui me dévorent le ventre, qui me terrorisent l’âme. Je ne peux rien y faire, je dois attendre. Que l’aube arrive & que le monde recommence à tourner, emportant dans son tourbillon de lumière ces horribles cauchemars.

J’ai parcouru des villes et des pays entiers depuis que tu es parti. Ma conscience s’est mutée en une sorte de cocon en coton, doux au touché mais terriblement fragile. Pourtant, après toi, je n’ai eu aucune envie de recommencer à vivre ou à espérer, tremblant trop pour distinguer le vrai du faux. Il n’y a eu aucune illumination divine, je me suis juste relevée, droite & presque fière, les yeux plantés sur le lointain. Le visage tourné vers l’avenir. J’ai marché, suivant une route sans virages, marchant toujours, marchant encore, vers le soleil & puis la lune, marchant à en souffrir, marchant à en crever, les pieds en sang, & sans sourire. Je suivais les graviers qui guidaient mon chemin, et dans ce voyage taciturne, cette lente conquête de la vie, j’ai vu le monde sans artifice. Il n’était pas plus laid qu’avant, n’avait rien perdu de sa mystérieuse beauté. Il m’apparaissait juste moins tapageur, plus sobre, teinté de bleu et de vert, sans dorure & sans dollars. Il était pur. J’ai ignoré les hommes qui lui marchaient dessus, tentant en vain de le façonner à leur manière. Je n’ai vu que l’essence de la terre, la profondeur des eaux, la vaste étendue du firmament, et, plus loin encore, au-delà de ses limites, j’ai vu les étoiles. Ces anges qui sont devenus lumières pour éclairer le sommeil du jour. Pour donner un peu de couleur à la nuit. Je me suis surprise à espérer t’y voir. Comme si cela m’aurait aidé de savoir que tu avais trouvé le salut. Je sais que ta vie n’a été qu’un vaste champ de désespoir où se sont attardés quelques êtres assez lumineux pour t’apporter de quoi vivre encore. Je sais que j’ai fait partit de ces miracles, je sais aussi que mon éclat s’est ternit, que j’ai finit par ne plus être que translucide. La flamme qui m’habitait avait été contaminée par tes peines, et au fond de moi, j’avais la certitude qu’elle ne brillerait plus jamais comme avant. Ta rédemption m’aurait prouvée que tout cela n’a pas été vain, mais je ne t’ais aperçu nulle part. Ce ciel était vide de toi. Le monde entier était vide de toi. J’en ai pleuré parfois. Perdue dans ma solitude, je me demandais ce qu’il y avait après ton amour. Ou pire. Ce qu’il y avait après ta haine.

Et puis, au bout de ce long chemin si droit, j’ai commencé à apercevoir des carrefours. Il était temps pour moi de recommencer à faire des choix. Il fallait être forte, surmonter mon indécision, ma peur du changement, et mettre le pied sur la bonne route. Et, au détour d’un virage, j’ai rencontré quelqu’un. De loin, dans le flou de mes larmes, je ne distinguais pas ses yeux, je n’apercevais même pas son sourire, juste sa peau un peu tannée qui paraissait pouvoir me réchauffer. Je n’y ai pas cru. J’ai été lâche. J’ai été sotte. Je l’ai ignoré. Je suis passée devant lui, faisant mine de ne pas le voir, alors que tout en lui semblait destiné à pouvoir me reconstruire. Il était lui-même plutôt cabossé, je sentais que l’éducation qu’il s’était durement imposé, dans l’ombre malhabile de celle de ses parents, l’avait bâtit plus fort que les autres. Mais mon passé était trop présent, je me refusais à renouveler mes erreurs, à raviver mes plaies. Recommencer à croire, cela signifiait recommencer à souffrir. En donnant de l’importance à quelqu’un, je lui donnais aussi le moyen de m’atteindre, de toucher à l’intimité de mon cœur. Alors, je suis restée avec les quelques amis détenteurs de ma confiance, réapprenant à espérer, continuant à avancer. Le destin, la fatalité, ou la providence – appelle-ça comme tu veux – a pourtant bien fait les choses. En parallèle à mon couloir de vie se tenait celui de cet homme. Entre deux buissons, j’apercevais son monde. Et un jour, ma folle curiosité grandissante, j’ai traversé la haie, & j’ai débarqué sur son chemin, le sourire aux lèvres, l’air mutin, toute tremblante encore, mais résignée à rester. Et je suis restée. Il m’a acceptée, et entre deux confidences, m’a ouvert un peu de lui. M’a tendu sa main, m’a offert ses bras. Je crois que c’est lui qui m’a sauvé. Faisant fuir les méandres de mon passé, il m’a étendu sous les yeux une possibilité d’avenir. Sans le savoir vraiment, il m’a tiré de ma torpeur mélancolique, m’a arraché à mes cauchemars éveillés. M’a arraché à toi. Notre amitié est encore timide, mais elle déborde d’amour, et je sais, qu’au fond, notre relation est bien plus saine que celle que j’entretenais avec toi.

Bien-sûr, tu me reviens encore, dans la sombre terreur de mes nuits. Le noir fait toujours apparaitre des formes énigmatiques d’où surgit parfois ton visage. Et ce vide au fond de moi est toujours présent. Il m’arrive même d’y tomber, lors de soirées trop longues & trop profondes de solitude. Mais cette fosse se remplit peu à peu, & je sais qu’un jour, elle ne sera plus que la tombe de mes souvenirs.


Un tombeau à ta mémoire, vieux fantôme presque oublié ;
triste ami de mon passé.




ND l'auteur : Texte autobiographique, d'où le style assez spécial.

3 commentaires:

Cookie a dit…

Toujours aussi beau Kirikette ! Continue comme ça, continue de nous faire rêver !

Sangyasha a dit…

Quel texte. J'aime beaucoup, ça donne réfléchir, mais ça fait rêver. :)

Léon Zitrone a dit…

Ça respire la joie de vivre, dis-moi.