08:38

" L'amour sans contrefaçon. "

Ça c'était passé très vite pourtant. Quelques minutes à peine. J'avais expédié le coup plus rapidement qu'il m'en avait fallu pour l'attraper. Une tirade destructrice. Une bombe de mots et de points. Et ça avait été fini.

***

- Arrête de me parler comme si j'étais une demeuré !
- Mais, chérie ...
- Arrête de me parler, Evan ! Arrête tout ! Arrête de toucher ma peau, cesse de la respirer pendant mon sommeil en pensant que je ne le vois pas. C'est faux. Je le sens, et c'est peut-être encore pire. Ça me dégoute, tu me salis, Evan. Pourquoi, d'après toi, je me douche à peine levée ? Pour enlever ta satanée odeur ! Mais elle est tenace, comme toi, elle s'agrippe et ne lâche plus prise. J'ai l'impression que tu me hantes, je te vois dans mon sommeil, tel un fantôme me poursuivant inlassablement. Tu ne vois pas ce combat intérieur que je mène pour essayer de t'accepter ? Je ne comprends pas pourquoi ça ne marche pas, mais tout en moi te refuse ! Tu es mon contraire, mon opposé. Nous ne sommes pas fait pour être ensemble. Mes pores ne te supportent plus, tu es devenu tellement...allergisant. Voilà, c'est le mot. Je suis allergique à toi. Tu me fais vomir et tu me fais pitié. Arrête de me fixer, arrête de me caresser, arrête de me suivre. Tout ce que tu peux me donner, je n'en veux pas ! Je ne peux pas le prendre, je n'y arrive pas. Ce qui vient de toi me semble maudit, tellement risible et faible. Ne me demande pas pourquoi. Je n'en sais rien. C'est ainsi. Dieu ne veut pas que nous soyons ensemble. Il nous a fait d'une telle manière que nous nous sommes attirés pour mieux nous détruire. Tu me cours après, et je te repousse. C'est un combat interminable, et je ne peux pas lutter contre mon instinct. Car tu m'as l'air tellement minable, Evan. Toujours à genoux devant moi. Comprends que je ne peux pas. J'ai le sentiment d'avoir besoin de quelqu'un de mieux. Pouvant vivre seul. Qui ne soit pas totalement dépendant de mes mots. Écoute-moi, Evan ! Je ne sais pas ce qu'il m'a prit de sortir avec toi. J'en suis désolée. J'ai commis là la plus grosse erreur de toute ma vie, mais je crois que c'était écrit ainsi. ECOUTE ! Je sais que tu vas continuer à t'accrocher, à penser que tu peux me récupérer, à m'envoyer des fleurs, des cadeaux, de quoi te racheter. De quoi acheter mon amour. Mais c'est faux. Non, ce n'est pas de ta faute, c'est vrai. Tu n'as rien à m'offrir car tu n'as rien qui puisse me plaire. Tu n'as rien à toi. Tu vis pour moi, tu vis à travers moi. Et je ne peux pas. C'est trop. Deux personnes dans un même corps, ça ne marche pas, tu comprends ? On ne partage pas que notre vie, ou notre appartement, c'est comme si ton existence était calquée sur la mienne ! Et je ne suis pas prête pour une symbiose de deux âmes dont je ferais partie. Pas avec toi. C'est trop dur. Pars, Evan. Laisse-moi t'oublier. Laisse-moi respirer, penser seule. Je t'en supplie, laisse-moi ne plus t'aimer !

- Sofia... Je... Excuse-moi. Je t'aime. Adieu.

Sur quoi il a empoigné le sac que je lui avais préalablement préparé et il est parti.

***

Comme je le disais, ça s'est passé extrêmement vite. Après ça, ce fut la liberté. Bien-sûr, je me suis sentie coupable, terriblement mal de l'avoir ainsi rejeté. Mais c'était tellement contradictoire à la déferlante de sentiments qui s'épanouissait en moi ! J'ai cru revivre, enfin indépendante, et j'ai vécu plus que de nécessaire. J'ai trop couru, trop bu, trop dormit, trop mangé, trop crié, trop fumé. Et surtout. Surtout. J'ai trop couché. Avec n'importe qui, n'importe quand, et n'importe où. Souvent dans les toilettes des boites, parfois dans des hôtels, rarement chez moi. A présent, je pense que c'était mon moyen de me punir tout en expérimentant de nouvelles sensations, des limites insoupçonnées de mon être dans son entier. Jamais deux fois avec la même personne, c'était ma seule règle. Pour éviter de trop m'attacher, vous comprenez ? Pour compenser, je m'agrippais à eux durant une nuit, les emprisonnant entre mes bras, mes jambes, et je les prenais ainsi en ayant la sensation d'appartenir à quelqu'un. J'apprenais leur nom, je l'oubliais aussitôt. Tout ce que je me souviens d'eux c'est leurs corps. Le poids de leur torse sur le mien, la fougue de certains et la tendresse des autres. Une affection factice, mais tellement bonne. J'aimais leurs mots doux autant que leurs insultes. Je prenais tout l'amour qu'ils me donnaient, l'emmagasinais au plus profond de mon cœur en sachant pertinemment que c'était sûrement le seul que je recevrais avant longtemps. Je savais néanmoins que j'étais douée. Je le sentais à leur pouls qui s'accélérait toujours plus, à leurs yeux qui se convulsaient lorsque je m'offrais à eux entièrement, à leurs mains qui se crispaient sur mes hanches dans un accès de plaisir pur. Je le sentais à leur souffle, rauque, haletant, qui me faisait vibrer. J'aimais sentir leur respiration sur ma peau, peut-être plus encore que de les sentir bouger en moi. C'était mon secret, mon péché mignon sexuel. Et c'était exquis.
Je compris que j'avais dépassé les limites de mon propre corps au moment même ou ce plaisir là ne me fit plus rien. Mais c'était trop tard. J'avais perdu ma conscience, ma dignité, et l'essence même de la vie. Je m'étais émiettée dans chacun de ces hommes et à présent, il ne me restait plus rien d'autre qu'une enveloppe souillée, abusée. Et c'était moche, une femme vide.
J'arrêtais là ma décadence spirituelle, et comme une enfant apprend à marcher, j'ai tenter de réapprendre à vivre sainement. Avec des principes, et des restrictions. Ce fut laborieux, une lente conquête de l'Existence et de moi-même. S'analyser est peut-être ce qu'il y a de plus dur lorsque l'on souhaite repartir vers une autre lumière. Et je cherchais une clarté qui soit plus pure, plus honorable et avec laquelle je pourrais Espérer de nouveau.
Et un jour, je suis retombée sur Evan. Comme ça, dans la rue, entre mon épicier et le garagiste. Il m'a vu. M'a souri. Et a continué son chemin.

- EVAN ! ais-je crié d'un coup, impulsivement.

Là, il s'est retourné très lentement, comme dans les film, a levé la main d'un air désabusé, et m'a salué de loin. Avec politesse, mais sans le moindre signe d'émotions.

Je suis resté là, pantoise, à le regarder se retourner pour la seconde fois, savourant une vengeance froide mais méritée, tandis qu'à l'intérieur de moi, tout s'écroulait. J'ai agité la tête, me suis pincée deux fois, puis, dans un élan de folie, me suis ruée vers lui. Je revois très bien la scène. Moi, l'air d'une allumée en détresse, courant gauchement vers un homme qui venait de me mettre deux vents d'affilés. Mémorable. Pitoyable.

- E-van... réussis-je à articuler en lui tapotant l'épaule de mon index.
Ma victime effectue un demi-tour, me fixe quelques secondes sans rien dire, puis enlève ma main de son manteau.
- Bonjour Sofia. Je croyais que tu m'avais vu, pourtant.
- Comment ça ? Je t'ai vu !
- Alors que fais-tu là ? Je t'ai déjà dit bonjour deux... trois fois.
- Je... je pensais qu'on aurait pu parler un peu, tout les deux.
- Je ne pense pas, non. Je dois aller chercher ma fille à la crèche.
- Ta... fille ?
- C'est ça. Maintenant, excuse-moi, mais je suis pressé.

Il me contourne, ne m'adresse pas un regard de plus, et disparait dans la foule en quelques secondes.

Et là se passa une chose magnifique. Miracle cruel de la vie ou intervention du diable : alors qu'il ne restait plus de lui qu'une drôle odeur de parfum, celui-ci même qui me répugnait tant autrefois, je me suis aperçu que ce qui me rongeait de l'intérieur, ce mal étrange qui me frappait, c'était un manque évident et douloureux. Evan me manquait. Il était vrai que depuis lui je n'avais eu que des aventures d'une nuit, de brefs moments jouissifs mais sans passion. Il avait été le dernier. Peut-être même le seul. Je l'avais jeté sans m'apercevoir qu'il m'avait apporté quelque chose d'unique et de précieux : un amour indéfectible, puissant, et entier. Rare, en somme, et que je ne retrouverais sûrement jamais. Il n'y avait dans nos vies que quelques sentiments capables de leur donner un sens : l'amitié et l'amour. Je n'avais jamais été capable de garder le premier et je venais de détruire le second. M'agenouillant dans la rue, sur l'asphalte glacée, j'éprouvais un vide immense, qui s'ouvrait en moi comme une bouche affamée, avalant dans son sillon tout ce qui me constituait. Cette fosse affreuse, le néant de mon cœur, n'avait de cesse de s'étaler et m'eu bientôt complètement vidée. Je n'étais qu'un trou. Du vide et du vent. J'ouvris la bouche pour hurler, dans un espoir insensé de pouvoir évacuer cette détresse douloureuse, mais rien ne sortit. Je réalisais que c'était normal. Rien ne pouvait sortir car je n'avais plus rien. Même plus de mots pour calmer mes maux. Même plus de larmes pour libérer le mal de l'absence. Rien.

Alors, comme un automate, je me levais, marchant avec raideur, trouvant dans chaque pas un peu de rage pour vivre encore. Arrivée devant la crèche, j'ouvris la porte, et le vit, là, en train de rire en regardant sa fille, qui aurait très bien pu être la mienne, magnifique témoin de l'existence. Je m'avançais péniblement vers lui, plantais mes yeux dans les siens, et je compris alors qu'il avait vu. Il avait vu ce gouffre immense qui m'avait avalé, ce noir étouffant qui me possédait, et à travers mon regard éteint, il avait su que je m'étais perdue.

- Sofia murmura-t-il avec pitié.
- Reviens-moi, Evan lâchais-je dans un sanglot.
- Je... Je ne peux pas, regarde, j'ai refait ma vie, Sofia.
- JE T'EN SUPPLIE ! Laisse-moi une chance. S'il te plait ! Laisse-moi te détester de nouveau !



"C
ar c'est ma seule façon d'aimer."

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis incroyablement et irrévocablement fan de ce texte, c'est vraiment magnifiquement écrit, splendide ! Et si fort !


MyEndingStory.